RÉCIT DE NAISSANCE À QUATRE MAINS

Voilà enfin venu le temps pour nous d’écrire pour te raconter ta naissance, toi, notre fille. Tu as choisi de venir rejoindre notre famille en 2019, en fin d’année. Impossible de raconter cette naissance sans contextualiser un peu, alors c’est parti pour le récit de cette aventure magnifique et intense que fût celle de ta venue au monde… 

Ta maman, Thaïs a eu son retour de couches très rapidement après la naissance de Liam qui est né en juin 2019 (seulement 5 semaines après). 

On (Mathieu, ton papa et Thaïs) a alors décidé de laisser la vie choisir le moment de ta venue, car on était pleins d’amour et frémissants d’envie d’un autre enfant. 

On a toujours su que si on faisait un enfant ensemble, on en ferait au moins 2, c’était inenvisageable pour nous que nos enfants ne puissent pas avoir une fratrie proche. Du coup on a dit à l’univers qu’on voulait bien un deuxième enfant et qu’il choisirait quand, tout en pensant quand même que tu n’arriverais pas tout de suite, et conscients néanmoins que ça pourrait arriver… 

La vie a donc choisi le 1er novembre pour ta nidification, soit une conception mi-octobre 2019, aux 4 mois de Liam. Quelle joie! 

La grossesse s’est très bien passée. Avec quand même de la fatigue, surtout que Liam a tété jusqu’à ses 8 mois. Il a bien senti que tu arrivais et a demandé encore plus d’attention. Nous lui avons tout de suite raconté que tu venais nous rejoindre et agrandir notre famille. Il semblait intrigué et un peu inquiet du haut de ses quelques mois. Nous le rassurions au mieux et passions beaucoup de temps à jouer avec lui. Nous avons voulu aussi passer beaucoup de temps à communiquer avec toi, mais en avons eu moins que pour Liam, surtout Mathieu qui travaillait. Et puis il y avait aussi Raphaël et Elyn, ton frère et ta soeur, qui étaient chamboulés à cause de la préparation de notre déménagement et de leur changement d’école. Leur lien avec ta maman, leur belle-maman, était régulièrement testé. Ils avaient peur qu’elle arrête de les aimer avec tous ces bébés qu’elle mettait au monde en si peu de temps. 

Notre projet d’achat de maison a soulevé des tensions dès la fin d’année, ça n’a pas été simple émotionnellement. S’engager financièrement pour un couple, ça fait bouger plein de choses. On a rencontré notre maison en décembre, puis toutes les démarches se sont étalées de janvier jusqu’au déménagement début juin. Autant te dire que cette grossesse a été pleine de mouvements, de joies, de peurs, et de beaucoup de stress. 

À cause du COVID-19, le déménagement a été retardé, on a passé 2 mois avec tout dans les cartons, sans garantie de signer à temps, avec la peur que tu arrives sans qu’on ait pu installer notre cocon… Mais finalement tout s’est bien passé, à croire que la vie voulait nous faire comprendre que rien ne sert de stresser. D’ailleurs, vu comment tu es calme, souriante et détendue, on est heureux de croire que tout ce stress ne t’a pas affecté. 

On avait prévu au départ une naissance à la maison de naissance, comme pour Liam sur la fin, car notre sage-femme ne faisait plus d’accouchement à domicile, et qu’il n’y en avait pas d’autres dans le secteur. 

Au fur et à mesure de la grossesse, Thaïs se sentait de moins en moins confortable avec l’idée de quitter la maison pour enfanter, et s’informait au maximum, suivait passionnément la formation de Karine La, « quantik mama ». Elle se renseignait de plus en plus, une formation de doula se dessinant petit à petit. On en a parlé avec notre sage-femme qui était d’abord ok pour venir chez nous finalement si l’accouchement était trop rapide et qu’on n’avait « pas le temps de venir ». 

Elle préférait néanmoins qu’on aille à la maison de naissance en raison du risque d’hémorragie, au vu des antécédents à la naissance de Liam, avec la perte d’un litre de sang environ. 

Les échographies ont révélé que tu étais un beau bébé, hors (de leurs) normes, car d’un poids annoncé supérieur à 4kg à la naissance (presque comme pour Liam, lequel ne faisait finalement que 2,940 kg.) Sachant le taux d’erreur de mesures, et le fait qu’une femme est normalement dimensionnée pour enfanter son bébé, on n’était pas inquiets pour cela. On avait confiance en la nature et en toi. Tu saurais naître. 

En fin de grossesse notre sage-femme nous a confirmé qu’au vu de la dernière écho, elle n’avait plus le droit de nous suivre à la maison de naissance après la semaine 39. L’hôpital nous proposait d’ailleurs (vivement) un déclenchement à cette date, que nous avons refusé. Ils en ont profité pour nous expliquer que nous mettions en danger ta vie et que c’était selon eux irresponsable de ne pas forcer la nature. 

On s’est alors organisés avec notre sage-femme pour aller au plateau technique de l’hôpital avec elle, notre seul moyen d’être accompagnés par elle pour ta naissance. Mais ce n’était pas ce qu’on souhaitait. 

Les jours passants, Thaïs s’est connectée avec toi de plus en plus, et en échangeant ensemble, on a eu la certitude qu’on ne devait rien choisir avant l’accouchement, que tu nous dirais sur le moment ce dont tu as besoin. On préférait enfanter entre nous mais on voulait se laisser sentir à chaque instant si on ne le sentait plus. Les valises ont été préparées pour le départ le jour J, le spa aussi pour le sur-place, on avait le choix surtout au vu du bénéfice-risque du fait de la proximité de l’hôpital (à 10 min) si vraiment. 

Tout au fond de nous, on savait que tu viendrais au monde à la maison, qu’on avait confiance en nous et en la vie, qu’on ne voulait pas casser notre bulle d’ocytocine en allant au plateau technique de l’hôpital si ce n’était pas nécessaire. 

Pour nous, aller à l’hôpital, même si c’est notre sage-femme qui est là pour nous, c’est devoir suivre des protocoles qui ne mettent pas toujours les gens en sécurité. Bien sûr, les médecins et les sages-femmes souhaitent limiter les risques au maximum, mais comme ils ne sont pas assez nombreux et parfois pas formés pour des accouchement physiologiques, ils font pareil pour tout le monde et dès que c’est hors de leurs normes, ils appliquent les protocoles, lesquels peuvent être déclencheurs de cascades d’interventions pouvant amener des effets pas forcément positifs. 

Avec les infos qu’on avait, on n’avait aucune raison de douter de la capacité de Thaïs à accompagner ta venue au monde, et la tienne à naître dans toute ta puissance et au moment précis de ton choix. 

Néanmoins, le choix de la confiance n’a pas été facile à faire, nous avons dû traverser de nombreuses peurs. L’inverse de l’inconscience selon nous, puisqu’il nous a fallu nous renseigner sur l’anatomie, la physiologie de l’enfantement, les risques possibles, que faire en cas de complication… Nous avons également fait l’état des lieux de nos forces et faiblesses respectives, travaillé sur nos histoires, nos ancêtres, nos passés, notre lien de couple… 

La naissance est pour nous un passage initiatique où la vie et la mort sont entremêlées, qui demande à la femme de traverser ses peurs et démons pour laisser la vie passer à travers elle. Choisir de vivre ce passage sans assistance, c’était choisir consciemment et en toute responsabilité de faire confiance dans la sagesse du lâcher-prise le plus total, de l’instinct sur le mental, du mammifère sur l’homme moderne, car telle est la voie de l’ouverture pour laisser passer le bébé. 

On était aussi d’accord à travers ce choix d’assumer l’entière responsabilité de tout ce que la vie pourrait nous proposer, y compris la mort, et qu’on n’aurait personne d’autre à blâmer pour ça. 

Au-delà de ça, nous pensons que c’est toi qui nous as poussés / guidés vers cette naissance libre, car c’était ton envie ou besoin à toi, nous y croyons en tout cas. 

Et c’est aussi en lien avec notre démarche plus globale qui est de reprendre notre autonomie, notre pouvoir personnel, dans des domaines où nous avions l’habitude de le laisser totalement à d’autres, parce que c’est ce que notre société nous enseigne malheureusement. 

On a donc choisi de ne plus faire d’échographies et de rester chez nous tant qu’on le sentait. Ces derniers jours de grossesse ont été merveilleux. Ton papa avait cessé de travailler et ta maman se plongeait en elle et dans son lien avec toi dans son ventre qui devenait énorme!!! 

4h51 le 28 juillet 2020, 41 sa +3 … première vague 

Thaïs : je suis réveillée par cette sensation que je connais maintenant. Mon utérus qui se serre et qui me prévient que tu arrives bientôt. Je ressens instantanément un mélange de joie et de peur, l’excitation de te rencontrer, et la crainte du chemin à parcourir, et de son intensité. J’arrive néanmoins à me rendormir. 

Mathieu : dès que Thaïs me fait part du début des contractions, je me mets un coup de stress, je me réjouis, car il est très tôt, et j’ai l’espoir que j’aurai ainsi la naissance de mon 4e enfant en journée… Espoir, car c’est le 2d de Thaïs et qu’en général ça va plus vite que les premiers… Peur aussi que ça aille trop vite et que je n’aie pas le temps de préparer le spa… 

T : Je peux encore dormir 1 ou 2h, puis les contractions se rapprochent rapidement, à un rythme soutenu et déjà bien intense. Je m’attends à un accouchement de quelques heures, alors je pense que le travail est déjà bien lancé. Liam est réveillé, on prend le petit déjeuner et Mathieu installe le spa dans le salon. 

M : En préparant le petit-déj, je m’aperçois que le réfrigérateur a rendu l’âme. Je garde l’info au chaud pour moi, pour ne pas stresser Thaïs, je congèle ce que je peux, en espérant que l’accouchement soit bref et en me demandant mais pourquoi aujourd’hui, bordel ??? 

T : Je t’écris dans le cahier que j’ai commencé pour toi, et mon père me rappelle, on avait essayé de joindre Jeanne ma petite soeur pour lui souhaiter un bon anniversaire. On leur dit que vous partagerez sans doute le même jour de naissance. Par contre on garde pour nous le fait que notre sage-femme ne viendra pas. Inutile de les inquiéter et de risquer des remarques. 

M : Une petite pensée pour mon pote d’enfance Charles, qui fête ses 40 ans ce même jour, et un petit message. Pensée aussi pour le jour où il nous a invités pour les fêter, mi-août, et où on ne pourra sans doute pas aller ! 

T : Les contractions s’enchainent, je me sens bien, je change souvent de position, je suis beaucoup sur le ballon, j’entre dans le spa, j’en ressors, je me sens libre, et c’est bon ! Je suis déjà toute nue, mon homme aux petits soins, qui me nourrit et me propose à boire, je me connecte à toi et je chante beaucoup. 

M : spa opérationnel vers 10h, yes. Playlist de musique faite ensemble sur deezer avec les 3 mois gratuits pour ne pas être emmerdés par de la pub’, en route. Liam sent très clairement qu’il se passe quelque chose, il est demandeur de beaucoup de câlins, de présence. Je me mets dans mon coeur et au service de ma famille, tout en étant à l’écoute de mes besoins en parallèle. Je me régale de la beauté qui se déploie en Thaïs, elle s’illumine de plus en plus dans son embarcation vers son voyage pour aller te chercher. Elle chante d’une voix si belle. Elle est tellement présente et transportée en même temps, je suis subjugué par tant de beauté et me sens vraiment tellement chanceux. 

T : Les heures passent. Je n’ai plus la notion du temps, mais je me souviens avoir regardé l’heure quand la poche des eaux s’est rompue sur le ballon, à 12h15. Je pense qu’un seul feuillet s’est rompu, car il n’y avait pas beaucoup de liquide. Il était clair et sentait bon. 

M : Je m’interroge de nouveau quand à la pertinence d’avoir Liam avec nous, car il me demande beaucoup de présence et d’attention, n’est quasiment plus autonome. On avait beaucoup échangé sur le sujet, et je ne vois pas comme pertinent dans ce moment que Thaïs se sépare de son fils pour la première fois sans un parent, et ce pour une durée indéterminée… Je pense à Lili qui nous a proposé son aide et je garde bien en tête que je peux l’appeler à tout moment, avec gratitude. 

T : Je me sens complètement hors du temps, très très loin de la réalité ordinaire, c’est tellement beau dans notre salon, on est en plein jour mais il y fait presque nuit. Ton papa a pris soin de fermer les volets. Quelle chance j’ai de vivre avec un homme si conscient, si attentionné, si amoureux ! C’est si joli chez nous ! Avec des petites guirlandes lumineuses qui donnent une ambiance féérique. Je me sens protégée, flotter. D’ailleurs je passe presque tout mon temps dans l’eau chaude qui atténue et vient comme diluer les sensations douloureuses. Qu’est-ce-que je le bénis ce spa !!! Les contractions sont fortes, régulières, rapprochées depuis maintenant un bon moment. J’ai l’impression que je vais bientôt te rencontrer. Mathieu et Liam sont là autour de moi. 

Puis, Liam fait enfin une sieste et Mathieu me rejoint dans le spa. Nous vivons alors un moment extraordinairement sensuel, amoureux. D’une intensité incroyable ! Nous dansons ensemble, dans l’eau, les larmes aux yeux de la joie de tout cet amour entre nous et pour toi. La musique nous porte, je me rappelle à quel point ça a été une aide tout au long de cet enfantement. Je me suis concentrée à me laisser bercer par les sons et les sensations de l’eau sur mon corps comme des guides pour revenir à l’instant présent quand mon mental voulait reprendre le dessus. Ce moment restera à jamais gravé en moi comme un des plus beaux moments de ma vie. Une sensation de plénitude, de connexion, d’amour profond et de confiance. 

M : Je me sens serein, porté par une confiance inébranlable en ta maman, et en la vie. Je me sens prêt à déplacer des montagnes, porté par un amour immense pour ma famille et toi, ma fille qui arrive et que je me réjouis de rencontrer, de regarder dans les yeux. 

Je prends le temps de photographier une dernière fois ta maman nue dans le spa, toi dans son ventre, mais seuls mes yeux auront vraiment eu cette chance de voir le sublime de ce corps célébrant de ses courbes la féminité magnifique de Thaïs, car mes photos ne sont que l’ombre de ce que je vois… Je suis touché et ébahi par tant de grâce et de beauté. 

Je parviens non sans peine à endormir Liam pour sa sieste, il aura tenu bon, et je rejoins Thaïs dans le spa. Enfin ! Enfin juste nous deux, comme dans une bulle magique, comme une parenthèse divine, après une matinée pour moi frénétique et active où Liam était omniprésent. Et avant, maintenant que j’écris ces lignes, une vie de parent qui ne laisse que peu de place à l’intimité du couple. 

T : Puis, le rythme est devenu plus bizarre. Les contractions se sont espacées, les sensations sont devenues plus fortes encore, douloureuses et je ne comprenais plus dans quelle phase je me trouvais. J’étais complètement shootée aux hormones et flottais entre deux mondes mais j’ai commencé à trouver le temps long, je me suis même surprise à carrément m’ennuyer entre deux contractions. Les pauses duraient de plus en plus longtemps et au début j’en profitais pour vraiment me reposer, puis mon mental est revenu me perturber. Liam s’est réveillé de la sieste et je pense que ça ne m’a pas du tout aidé. J’avais envie de partager tout ça avec mon amoureux et je sentais de la frustration, car Liam lui réclamait toute son attention. Je me souviens m’être sentie seule parfois. À certains moments ça me convenait très bien, je me sentais forte et connectée, à toi et à l’univers. Et à d’autres moments, j’aurais eu besoin de plus de présence. 

Plus les heures passaient et plus le rythme devenait chaotique. Moi qui avais étudié le vortex de la naissance et ses étapes, je pouvais observer que je passais de l’une à l’autre dans un sens non conforme à ce que j’avais prévu. Je commençais à m’inquiéter de sentir que cela n’évoluait pas aussi rapidement qu’espéré. Et alors, mon mental a pris le dessus et j’ai traversé une mer de dévalorisation et de jugement de moi à moi. Je me disais que j’étais trop dans mon mental, que je râlais trop, que je ne profitais pas assez de mes pauses, que je trop ceci ou trop cela…. J’ai commencé à crier que ça n’allait pas, que je n’y arriverais jamais, que j’étais nulle et chiante, jamais contente, incapable de bonheur, de profiter de ce que m’offre la vie. Bref, j’ai traversé mes ombres. Comme si la vie me laissait le choix entre une vie à râler ou une vie à profiter. Entre un enfantement libre dans ma puissance ou alors assistée. Il fallait que je retrouve le passage vers mon coeur et vers ma confiance en moi et en la vie. Vers toi. Je sentais des envies fortes de pousser depuis un moment, je les écoutais et je poussais, mais je sentais bien que quelque chose empêchait l’ouverture. Le besoin de pousser était vif mais je ne te sentais pas descendre. 

Alors j’ai demandé de l’aide ; moi pour qui c’est si difficile, qui ai été habituée à faire seule, à être forte, qui ne le fais presque jamais envers quelqu’un d’autre que Mathieu, je lui ai demandé d’appeler de l’aide par téléphone. J’avais besoin d’une guidance, que quelqu’un d’autre que mon homme me dise que tout va bien ou pas, et m’explique où j’en étais et ce que je devais faire. Parce que oui, l’amour de ma vie me disait des mots magnifiques et sa confiance en moi ne défaillait pas, mais je ne le croyais pas. Une part de moi me disait qu’il le disait pour me faire plaisir. 

On a alors écrit à * pour lui demander si elles étaient dispo et dire qu’on avait besoin d’aide et alors * et ֍ nous ont appelé depuis l’autre bout du monde, par Facetime, pour nous guider pendant plusieurs heures. ֍ m’a écoutée puis  m’a demandé de parler avec Mathieu pour que je reste bien dans ma bulle, dans mon corps. Elle est restée à l’écoute, à porter notre espace, à faire sonner un carillon. Je me sentais soutenue, vue, aimée. Mais ça n’avançait pas plus. Puis elle nous a suggéré différentes positions pour débloquer la situation et m’a guidée pour vérifier mon col moi-même et comprendre ce que je sentais sur ta tête (ton nez et ta bouche je pense après réflexion, puisque tu es arrivée la tête défléchie, de face, et en postérieur). À ce moment-là j’étais dans l’eau. J’ai eu un instant de panique, car j’ai cru sentir un cordon juste devant ta tête. Un truc dur comme du cartilage et qui n’avait rien à faire là à priori. ֍ m’a expliqué et demandé de lui décrire ce que je sentais. J’ai demandé à Mathieu de confirmer mon impression. ֍ m’a dit qu’elle ne pouvait pas savoir, car elle ne pouvait pas toucher et que si je doutais, si je sentais de la peur, on avait tout intérêt à se déplacer à l’hôpital. Elle m’a mise face à mes choix et à nos propres décisions. Elle m’a remis dans ma confiance en moi et en mon intuition pour que je puisse sentir si tout allait bien ou si on avait besoin de plus d’aide. 

À la fin de l’appel, je sentais que j’allais y arriver, que tout allait bien. Tu bougeais bien encore et je sentais intimement que c’était ok de rester à la maison. Je suis sortie du spa et me suis installée en boule sur le canapé pour prendre les contractions en les laissant faire le travail. J’avais compris que je devais surtout travailler à ne rien faire, à laisser mon corps travailler. Avant ça, je soufflais, je faisais des sons, j’essayais de rester molle… J’étais active dans le lâcher-prise… donc toujours bien trop active mine de rien !!! J’ai senti tout de suite que si je me mettais de côté en quelque sorte pendant la contraction, que je l’observais simplement agir, que je m’efforçais à une immobilité totale, les fesses en l’air sur le canapé, alors le col s’ouvrait encore plus et que le bourrelet de col qui restait s’effaçait millimètre par millimètre. Du liquide s’écoulait encore par vaguelettes à chaque contraction. 

Je ne sais pas combien de temps a duré cette étape. L’appel était entre 3 et 4 heures du matin, puis j’ai somnolé, voire dormi entre chaque contraction. Liam dormait alors profondément pour sa nuit et Mathieu dormait aussi sur le canapé à mes côtés. Je ne voulais pas le déranger et je pense que cette ambiance de silence, cette solitude profonde, m’ont permis un vrai face à face avec moi-même et de trouver des ressources en moi encore plus profondément. Comme une plongée dans les secrets et les mystères de l’existence. Je me rappelle encore la saveur de ce moment. Comme si je pouvais toucher la trame de l’univers, comprendre dans mon ADN de quoi était fait le monde et la vie et toucher cette vibration-là avec mon âme. Seule. Car j’étais la seule à pouvoir aller te chercher ma fille. Je devais le faire seule. 

M : Thaïs était dans sa bulle mais je sentais bien qu’elle doutait et se posait beaucoup de questions malgré son état modifié de conscience. Je me suis senti impuissant, au fond de moi tellement confiant que ça allait le faire, tellement sûr qu’elle en était capable et que tout était sur la bonne voie, et je la sentais approcher de son sommet… Le doute de mon amoureuse m’apparaissait donc comme normal. Seulement ma présence et mes paroles qui se voulaient rassurantes ne lui ont pas suffi. J’étais toujours partagé entre Liam et le soin que je pouvais lui apporter… Après coup je me dis qu’il nous aurait fallu une doula pour gérer Liam ou accompagner Thaïs, selon les envies… Quand Thaïs a demandé à appeler à l’aide, j’ai tout d’abord insisté qu’elle était capable et que tout allait bien, puis ai abdiqué… Elle sait être persuasive, et cela faisait déjà presque 24h qu’elle était en travail… Elle avait déjà eu un sommet et poussé puissamment sans résultat probant, il me semblait que comme pour Liam un bout de col restait fermé et ne laissait pas passer ta tête. Je me suis senti soutenu, mais aussi intrusé par ce Facetime, qui venait me faire sentir que je ne suffisais pas, et était une ouverture imprévue sur notre intimité, notre cocon, notre nudité. Rassuré et inquiété… Cela m’a surtout permis de me reposer psychiquement, je crois, et a largement contribué à ce que Thaïs retrouve son vrai centre. Elle a des gardiens si puissants qu’ils peuvent lui faire croire qu’elle lâche prise alors qu’il s’agit encore de contrôle… Alors gratitude ֍&*, et bonheur de quiétude pour moi et repos un moment ! J’étais bourré d’hormones mais très sollicité et je tirais sur ma corde depuis bien longtemps déjà. J’ai lâché sentant que Thaïs avait à faire un chemin face à elle-même jusqu’à toi, où je n’avais pas ma place. 

T : J’ai donc eu une bonne phase de quiétude, somnolant entre les contractions et me remplissant le plus possible de vide pour les traverser et laisser à mon corps la sagesse de te mettre au monde. Je me parlais, me récitais des mantras. « Mon corps sait faire » « Mon bébé sait naître » « Je suis capable » « Je ne te lâcherai pas, ma fille, je suis là, avec toi ». Et j’avais cette sensation de devoir m’ouvrir, m’ouvrir, m’ouvrir encore. Lâcher, lâcher, lâcher. Faire une confiance infinie en la vie… Un acte de foi véritable. Et ce sont des sensations que je décris là. Je n’étais à ce moment-là plus dans mon mental. Difficile de décrire avec des mots des concepts que j’ai compris avec mon corps. C’était comme si l’univers voulait me fracturer en deux, emplir le vide en moi par des étoiles et des galaxies et qu’une étoile filante pourrait alors me traverser. 

Après cette phase, j’ai senti les vagues reprendre avec force. Cela ne tirait plus pareil pendant les contractions, je sentais à la fois plus de puissance et plus de calme dans ces vagues. Comme une fin de tergiversations. J’ai eu envie de pousser fort à chacune d’elle et je sentais que ça avançait, que ta tête descendait, millimètre par millimètre, très très lentement. Chaque poussée me demandait une force que j’estimais surhumaine. 

Je suis retournée dans l’eau chaude. Quel soulagement ! Je me laissais flotter pendant les pauses et m’agrippais pendant les poussées. Il y avait des poignées sur le côté extérieur et sans elles je suis certaine que je n’aurais pas eu assez de force pour te pousser hors de moi. J’ai poussé comme ça, avec l’impression de chercher à sortir une boule de bowling hors de mon vagin, à travers mes os, pendant un temps qui m’a semblé infini. Vers 6 heures du matin, je me suis dit que tu étais bientôt là et cette pensée me donnait la force de continuer, une vague après l’autre. Je me disais « une de moins ! Ça va le faire ! Une seconde après l’autre ! » Et vraiment, je restais avec la sensation et les secondes passaient et je me rendais compte que je l’avais fait, une contraction à la fois. 

M : Le repos avait été bref, je me suis réveillé avec la vision de Thaïs près de moi qui rugit, elle me dit que c’est reparti, là vraiment on approche du bout du tunnel ! Elle retourne dans l’eau et je suis vraiment surpris par l’intensité incroyable qui se dégage de chaque poussée. C’est la 4e naissance à laquelle je participe, mais je n’avais jamais rien vu de tel. Quelle puissance ! Et à chaque poussée un peu plus! À chaque fois je me dis que ça ne peut pas être plus intense… Et à chaque nouvelle vague le démenti, inéluctable… Le visage de Thaïs se métamorphose, elle a besoin de se cramponner. Parfois à moi et je fais alors tout pour être présent. Mais c’est difficile car Liam s’est réveillé et je le tiens dans mes bras, la tête sur mon épaule, pour avoir une main de libre. J’ai envie d’être avec Thaïs. Elle m’aggripe le bras et son autre main est sur une poignée. Elle me regarde droit dans les yeux. Sa puissance semble m’arracher le bras, les expressions de sa douleur me faisant même peur parfois tant ta tête force le passage. Parfois je dois la laisser seule gérer, elle est brave, sauvage et tumultueuse, ses chants se changent de plus en plus souvent en cris. 

Je me sens si fragile, j’ai peur aussi. Peur que mon amoureuse ou toi y succombe, que nos choix ne soient pas bons… Mais au fond, toujours, la confiance et la sensation claire que ça va le faire… Ouaw, j’ai la chair de poule et les larmes aux yeux d’écrire tout ça 9 mois après… Gratitude et confiance totale en la vie. Avec parallèlement une pleine attention aux signes qui pourraient faire penser à une détresse ou un souci qui imposerait de faire le 15 ou de prendre la voiture pour les urgences… Le monde est gris. La vie est belle. 

T : Les poussées m’écartèlent, chaque fois un peu plus. Je sens vraiment les os de mon bassin s’éloigner l’un de l’autre, mon sacrum partir vers l’arrière. C’est si puissant ! La vie me traverse ! C’est indescriptible, c’est très douloureux et en même temps jouissif. Je déploie toute ma puissance, je pousse avec rage. Je n’ai pas le choix, je sens bien que tu es grande, que ta tête est comprimée, que mes os doivent lui laisser la place. Je ne veux pas te laisser trop longtemps dans le passage alors je donne tout ce que j’ai pour accompagner chaque poussée. Mon utérus pousse tout seul à vrai dire. Mais si je ne pousse pas moi aussi, je sens que tu ne descendras pas. 

Je crie. Des sons qui m’empuissancent, des sons animaux. Je me sens lionne, je rugis. Puis je sens ta tête qui arrive à la vulve. Les tissus s’étirent. Je change de position et me tiens sur un genou, la main sur la vulve, toujours dans l’eau. Et j’arrête tout, je souffle, fort. Je me souviens du secret pour ne pas déchirer. Surtout ne pas pousser. Ça brûle si fort. Et ça dure si longtemps. Je laisse ta tête élargir, millimètre par millimètre, mon périnée. Le temps s’arrête et plusieurs minutes passent ainsi. 3 ou 4 contractions dans cet étirement au plus grand de moi-même. C’est infini. Avec tellement d’amour et d’ocytocine. Cette brûlure que j’accueille comme un trésor. Tu es enfin-là, je te touche, caresse ta peau, quelle douceur… Puis ta tête est sortie et la brûlure s’est amoindrie. Je caresse encore cette peau si douce et d’un coup j’ai peur ! Je dis à Mathieu : «elle n’a pas de visage ! ». En effet, ton visage était contre ma symphyse, je ne pouvais donc pas sentir, comme pour Liam, ton petit nez et ta bouche, en attendant que ton corps sorte aussi. 

M : Aouw, respect ! Que ma femme est belle ! Ce que je vois et vis est hors de tout entendement. Mon mental ne peut retranscrire ce que j’ai vécu. De ça, je retiens surtout la sensation d’un immense, sincère et profond respect pour toutes les femmes qui enfantent et particulièrement pour Thaïs ! Elle gère à merveille, est totalement connectée, sait quand elle doit pousser ou laisser aller… Qu’elle est immense, bien au-delà d’elle-même, et puissante ! J’ai une telle confiance en elle, je sais qu’elle fera ce qu’il faut. C’est une louve. Elle sait. Toutes ses cellules savent comment faire, et nous ne sommes pas seuls dans notre salon, je sens de multiples présences bienveillantes qui nous accompagnent. 

En même temps l’intensité est telle, qu’une part de moi est comme tellement impressionnée par la souffrance de Thaïs, ses expressions du visage la font se transformer devant mes yeux, en des personnages que je ne connais pas, j’ai peur que la douleur la fasse disjoncter, comme un fusible… Comme si je croyais connaitre une limite approximative de la douleur supportable, et que là, elle était largement dépassée. Que chaque fois que je la croyais au paroxysme, elle venait m’impressionner encore plus… Et ta maman traversait tout ça puissamment… 

Quand Thaïs me dit qu’elle ne sent pas ton visage, elle me demande de toucher ta tête sortie. J’ai un coup de stress, je fais face à une incompréhension qui me laisse pantois. Mon mental, punaise, quand il ne comprend pas, il buggue… Bref c’est pas le moment de figer, je prends Liam et je rejoins Thaïs dans l’eau. Je touche ta tête et effectivement je ne trouve pas ta bouche ou ton nez… Incompréhension. Je fais avec, il faut avancer. On est tous dans l’eau pour t’accueillir, je suis au summum de l’excitation et de l’impuissance aussi, tout en envoyant tout ce que j’ai d’Amour à tout mon cocon, le fil n’a jamais été aussi fin… 

T : J’ai attendu plusieurs minutes entre la tête et le corps. Mathieu m’avait rejoint avec Liam, on se regardait, se souriait. On prenait le temps de s’aimer et de goûter ce bonheur. Je savais que jusqu’à 4 minutes c’était ok. J’ai eu plusieurs contractions, mais rien ne bougeait. Je regardais la montre de la cuisine, sans rien dire à Mathieu. Je respirais la confiance et la vigilance en même temps. Tous mes sens si aiguisés dans cet instant suspendu entre les mondes. J’ai senti que je devais faire quelque chose pour t’aider à sortir. Je me suis mise à quatre pattes dans l’eau, j’ai « dansé » avec mon bassin, j’ai poussé un peu et tu as fait ta rotation. 

M : Je touche à nouveau ta tête après une autre contraction, et là, stupeur, je sens un bras ! J’en informe immédiatement Thaïs qui gère comme si elle avait fait ça toute sa vie ! 

T : Une main sortait avec ta tête. J’ai senti que ça coinçait ! J’ai eu une décharge d’adrénaline et j’ai été chercher ton bras et ton épaule, qui restait derrière mon os pubien. Puis, j’ai sorti l’autre épaule et j’ai senti tout ton corps glisser enfin hors de moi. Je t’ai prise dans mes bras et t’ai regardée. Tu étais molle et bleue. J’ai alors aspiré ton nez et ta bouche, de façon très instinctive, animale, puis j’ai frotté ton dos, fort. Tu as mis du temps, mais as fini par respirer et par pousser un petit cri tout calme. Ouf ! Tu as choisi la vie ! 

M : Elle se repositionne, et en un tour ton corps sort, elle te réceptionne, te coucoune, t’observe, t’aime, te respire, t’aspire… Je regarde l’heure, m’interroge sur quelle heure retenir comme heure de naissance, mon portable à 8h ou l’heure sur la cuisinière à 7h58… Je reviens dans le présent et le précieux de l’instant, je t’observe, ma fille. Tu as l’air sereine mais ne respire pas encore, je n’ai pas besoin de stresser, car je sais que c’est ok, qu’on a un peu de temps… Je regarde Liam, il est intrigué et captivé par la magie de l’instant. Je le prends avec moi, et nous sortons de l’eau. Si j’ai besoin d’agir, il faut que Liam ne soit pas dans mes pattes sous l’eau… 

Thaïs est maman de nouveau et elle fait ça à merveille, elle aime et cajole, te frotte. Je lui fais confiance et vous observe. J’ai la sensation d’être tellement impuissant, je ne gère toujours rien si ce n’est Liam et l’Amour que j’envoie. Je ne suis pas tout à fait revenu. C’est délicat, car j’aimerais pouvoir enfin te câliner et te souhaiter la bienvenue, mais ce temps n’est pas encore venu. 

Et là oui, enfin j’entends un petit chant, libérateur, car je retenais mon souffle depuis un moment. Merci ma fille d’avoir chanté ainsi, bien sûr que j’étais en fait tendu ! Tellement effrayé même par cette aventure qui enfin voyait son heureux achèvement arriver… En écrivant ces lignes, j’en ai encore le souffle coupé. C’est d’ailleurs de chanter qui me permet depuis ta naissance de reconnecter avec ma respiration et les émotions associées aux souvenirs forts gravés dans mon corps. En effet, je ressens une oppression viscérale, des maux de dos liés, et c’est en les explorant que je reconnecte avec ces peurs de perdre mes êtres chers, si intense, que je ne me suis pas permis de sentir pleinement lors de l’accouchement, comme un stress post-traumatique. 

Thaïs pleure de joie, te tient contre elle, elle est fière, belle, magnifique, toi aussi, ma fille ! 

Ouah je vous prends en photo encore dans l’eau, quelle émanation incroyable dans les hurlements de Thaïs, de victoire, de puissance et de bonheur ! 

T : Oh ma fille, Mayla !!!! Tu es là ! On l’a fait !!! 

Je me sens si pleine de gratitude et de joie de te voir si magnifique et bien rose maintenant ! Je demande de l’aide à Mathieu pour sortir de l’eau, assez rapidement, il me semble. Je ne m’y sens plus à l’aise et je me sens pleine d’adrénaline et de peur encore. Je suis dans la vigilance de ce que nous venons de traverser, consciente profondément de ce que nous venons d’éviter aussi. J’ai eu si peur, que j’ai de la peine à revenir au calme pour profiter de toi. 

Je vais sur le canapé avec toi dans les bras, le cordon entre les jambes et je m’y mets accroupie. Je respire, je prends le temps de t’observer un moment. Liam et Mathieu viennent nous rejoindre. Liam vient te rencontrer, il te fait instinctivement tout de suite un bisou, j’en pleure. Je me sens stressée, comme si je venais de traverser le couloir de la peur et je me récite en mantras que tout va bien, que c’est bon, on l’a fait, tu es en vie, j’ai enfanté chez moi et tout va bien, respire, calme-toi… 

Je sens les battements de mon coeur qui sont beaucoup trop rapprochés, ma tension très haute, ma tête qui bourdonne. Je n’arrive pas à profiter de ce moment. Je pense fort à l’hémorragie possible, j’imagine, j’ai les peurs du dernier accouchement en moi et les discours que j’ai reçus. Je pense à mon placenta et je veux tellement qu’il sorte en entier, que tout se passe au mieux. En fait, c’est la partie de l’enfantement qui me faisait le plus peur pendant ma grossesse. Et là, on y est, et seuls. 

M : Pinaise, aider Thaïs à sortir de l’eau enceinte jusqu’au cou c’était déjà chaud, mais alors avec la fatigue, la pression qui retombe, Liam dans les pattes, et toi au bout du cordon, glissante. Le cordon m’a semblé court en plus, Thaïs devait te tenir bas. Heureusement l’adrénaline fait bien son effet, j’étais bien tendu, comme si cette opération m’avait coûté un immense effort psychique, la peur de la glissade j’imagine. Enfin, accompagner Thaïs jusqu’au canapé sur les alèses, en imaginant qu’on prenne le temps de se poser tous les 4, qu’on se câline, se rencontre, et qu’on fasse le plein d’ocytocine, cette hormone tellement précieuse pour la délivrance… 

Liam magique, toi tu as l’air sereine, Thaïs qui pleure de joie et de gratitude, tout commence bien. Sauf que je ressens que Thaïs a peur. Elle transpire la peur en fait. Elle ne se pose pas vraiment, profondément. Une tension palpable se dégage d’elle. J’essaie de lui transmettre tout ce que je peux de sérénité, lui disant que ça allait aller, et en même temps en moi s’allume une alarme, rouge sang. 

T : Après un moment, pas si long, à profiter comme je peux de notre rencontre en famille, je sens le besoin de m’occuper de mon placenta. Je sens que c’est bien que je m’en occupe. J’ai envie de savoir s’il s’est décollé ou non, alors je suis le cordon, je vais au plus près de ma vulve pour sentir au mieux et je tire doucement dessus pour voir s’il bouge ou s’il est toujours attaché au fond de mon utérus. Rien ne se passe. Il est donc toujours attaché. 

Et là, je sens un flot de sang sortir de moi. Un flot, littéralement. Puis un moment plus tard, un deuxième. Je sens la panique monter dans tout mon corps. J’ai décidé de me lever et d’aller dans la baignoire de notre minuscule salle de bains, parce que je ne voulais pas mettre du sang partout. Je pars alors avec mon bébé, en disant à Mathieu que je saigne et je traverse la cuisine en versant du sang sur mon chemin, pas mal de sang. Je dis à Mathieu que je saigne trop ! Et je vais dans la baignoire. Toujours Mayla dans les bras, j’allume la douche, je me rince. Mais je ferme le bouchon pour qu’on puisse compter le sang… De la lucidité, mais pas que ! Je lave mes jambes mais je continue à saigner. L’impression qu’une chute de sang sort de ma vulve par vagues. Je panique, j’ai l’impression que Mathieu ne comprend pas du tout le sérieux de la situation. Qu’il me dit que ça va le faire. Je ne le crois pas, je lui crie que non, que ça ne le fait pas du tout, qu’il doit appeler des gens, l’ambulance, notre amie qui coupe le sang, me donner ma teinture mère ! 

M : Merde, elle saigne pas mal. Bon, à voir comment ça évolue, et faire ce qui est prévu, coupe-sang, teinture mère, homéopathie… Relaxation et ocytocine naturelle (plaisir, bonheur…)… et SF / SAMU si besoin. 

Vous ne connaissez pas la puissance de Thaïs, quand elle a une idée en tête, elle peut déplacer des montagnes ! Bon là l’idée, c’est une idée bien sombre… L’idée que ça merde. Et l’idée d’aller dans la baignoire… Et j’ai beau me dresser, ramer pour qu’elle retrouve du calme, elle est dans un état de détresse qui ne présage rien de bon. Alors je fais avec. Et avec Liam que je porte avec moi partout où je vais. J’accompagne Thaïs à la salle de bains, et l’aide à se laver. Bon c’est foireux, ça va glisser, j’ai peur, c’est exigu, froid, pas confortable… Mais il y a bien des femmes qui accouchent dans leur baignoire parfois… On fera avec. Sauf que Thaïs doit te tenir, moi la laver du mieux que je peux, et pendant ce temps je ne peux pas appeler. 

Je vous laisse un instant, et j’appelle notre amie coupe-sang et notre sage-femme, qui par un heureux hasard passe dans le coin peu après et fait le détour. J’ai espoir qu’elle pourra donner de l’ocytocine de synthèse à Thaïs, on en a au frigo, et que c’est comme notre joker. On comprendra seulement plus tard que c’est trop tard pour lui injecter, que ça doit être fait avant la sortie du bébé… On avait mal compris ce point. 

T : Je ne saurais pas dire combien de temps je suis restée dans cette baignoire avec toi. Mathieu a appelé tout le monde, rassurait Liam comme il pouvait et m’a dit que notre SF passait par là et serait là dans 20 minutes. Je m’en voulais tellement de lui faire vivre ça, exactement ce qu’elle redoutait et ce pourquoi elle avait refusé de nous accompagner chez nous ! Je m’en voulais vraiment fort et j’avais tellement peur. Je voyais tout ce sang, mon élixir de vie, quitter mon corps, se retrouver dans ma baignoire, recouvrir mes pieds… Et je te tenais si fort, je te berçais, te chantais des sons, t’aimais. Je regardais Mathieu, Liam, toi Mayla, et je ressentais tellement de gratitude de vous avoir dans ma vie. J’y tenais à ma vie ! 

À un moment, Mathieu m’a passé notre amie qui coupe le sang. Elle nous a dit que de son côté elle avait fait tout ce qu’elle pouvait mais qu’elle ne le sentait pas. Que selon elle, une de mes ancêtres ne lâchait pas quelque chose. Nous avions travaillé cela en énergétique durant ma grossesse. La grand-mère de ma mère était morte en accouchant, sans doute d’une hémorragie, il y a presque 100 ans. J’avais fait tout ce que je pouvais mais le scénario hémorragique se répétait ! Elle m’a dit que si dans les 15 minutes le sang ne s’arrêtait pas, d’aller à l’hôpital au plus vite. Nous lui avons dit que notre SF était en route. 

Puis après cet appel, je me suis sentie mal. Je me suis sentie vaciller. J’ai eu le temps de sortir de la baignoire, de m’allonger par terre, les fesses en l’air, avec toi sous moi (encore une bonne idée), le front contre le carrelage frais, dans l’espoir de ne pas m’évanouir. Je paniquais. Je sentais que si je me laissais aller… je ne revenais pas. Alors je tenais ! Et Mathieu m’a donné de la teinture mère, j’ai eu l’impression de boire un shot de rhum pur (eh oui en fait c’est ça!) et ça m’a fait encore plus tourner la tête. 

Et là, notre SF était là. Elle m’a vue dans cette position et je ne sais plus trop ce qu’il s’est passé par la suite précisément. Elle semblait paniquer et je la calmais, lui disais de respirer. Mathieu a appelé le SAMU et ils ont donné des consignes à ma SF. J’ai compris à ce moment-là qu’elle ne pouvait pas me donner d’ocytocine et qu’elle n’avait pas le droit de me faire une révision utérine pour aller chercher mon placenta à moitié décollé. Elle m’a demandé de me retourner, ce que j’ai réussi à faire. Je t’ai pris sur mon ventre. Tu dormais, paisible. 

Elle a massé mon utérus, sans discontinuer, pris mon pouls, essayé de me poser une voie, avec peine, car mes veines étaient dures dures. Et je me suis évanouie. Je me suis sentie partir loin, si loin. Loin de ma vie, de mes enfants, dans un monde si calme qu’il en était attrayant. Mais j’avais les yeux et le sourire de Liam qui me retenait. Alors j’ai fait un effort intense pour revenir en conscience et j’étais de retour. Dans un corps qui allait mal. Je me sentais si faible… Mais je voulais rester ! 

M : Thaïs est sortie de la baignoire mais ça n’allait pas du tout et je commençais à avoir vraiment peur, surtout à la vue des flots de sang que je voyais s’accumuler dans les alèses que j’avais glissées comme je pouvais sous elle. Là on était dans une scène bien freak… Du sang un peu partout, j’avais apporté tout ce que j’avais comme serviettes, pour le froid, pour le sang, l’eau, bref, tout se teintait de rouge. 

J’ai pris le temps de sortir ouvrir le portail, notre SF n’allait pas tarder à arriver. J’avais envie de faire le 15 mais notre SF saurait si cela serait nécessaire. Elle arrive, très pro, sort son matériel de sa voiture. Une fois entrée et en voyant Thaïs et la quantité de sang elle me dit de faire le 15, ce que je fais sans sourciller et avec une bouffée d’angoisse, je sens mon ventre se serrer, la peur de perdre ma femme me prend aux tripes. Je donne tout ce que j’ai pour donner des infos claires au médecin, et après un moment il me demande de lui passer notre SF, je sors alors respirer un peu, Liam dans mes bras. 

Notre SF est en stress, Thaïs a perdu connaissance. Elle lui met des claques, lui demande de revenir, la change de position, et ouf elle revient super vite. Elle me dit comment masser l’utérus de Thaïs pour le maintenir contracté, ce à quoi je m’applique avec une seule main du mieux que je peux. Elle me dit que je dois faire plus fort, je donne tout ce que j’ai, me sens tellement incompétent. Liam est sur mon bras gauche, je lui parle en même temps, lui explique ce que je fais et essaie de le rassurer. Il massera le ventre de sa maman pendant plusieurs mois après cela. 

Je sors rapidement pour reculer une voiture et laisser de la place aux pompiers, toujours Liam collé à moi, tout nu. Il semble inquiet, mais sans plus. J’ai hâte que les pompiers arrivent et puissent l’emmener rapidement pour lui sortir son placenta, notre SF n’a pas le droit de le faire… Je pensais que ça aussi elle pourrait le faire, mais non. Elle nous explique que les protocoles ne le lui permettent pas, qu’elle ne peut plus rien faire à partir du moment où le SAMU est dans la partie. Je suis persuadé qu’aller sortir le placenta aurait tout résolu, mais cela peut aussi augmenter l’afflux de sang et provoquer un décès rapide, je ravale ma colère et m’en remets aux mains des protocoles. 

T : Les pompiers sont arrivés et ils ont eu toutes peines du monde à me sortir de ma toute petite salle bains. Pour le faire, ils ont demandé à notre SF de couper le cordon. Ils voulaient me séparer de mon bébé. Au vu de l’urgence, j’ai accepté et j’ai demandé qu’elle le fasse. Elle, si chou et attentionnée, à demandé à Mathieu s’il voulait le faire. Je crois qu’on a juste dit que non ensemble. On y avait réfléchi et on souhaitait faire un placenta lotus et ne pas le couper. Justement, on ne voulait pas que le premier geste de papa de Mathieu envers toi soit de lui couper le lien avec ton placenta ! Elle a alors coupé ton cordon puis t’a donné à Mathieu. 

Les pompiers sont venus me chercher à deux. Ils m’ont soulevé et m’ont transportée dans la cuisine. Ils m’ont déposée sur le sol et je me souviens de la scène, des hommes, en bottes noires et uniformes, masqués, puis deux femmes aussi, car le SAMU nous avait rejoints, ma SF qui me massait toujours le ventre, si fort, moi nue, les cheveux mouillés, les jambes écartées, du sang partout, toi sur moi, Liam tout nu qui regarde tous ces gens, Mathieu torse nu qui court de partout… Je me suis demandé ce qu’ils pensaient, ces gens qui entraient chez nous ce jour si spécial pour nous. J’ai senti un dernier vent de pudeur, d’envie de préserver mon intimité, de me cacher un peu au moins, puis j’ai lâché. Ils me rattachaient à ma vie, ma pudeur passerait après. 

M : Les pompiers sont arrivés. Je guettais le son de la sirène et suis sorti pour les accueillir. Ils ont laissé leur camion sur la route. Ils ont été un peu bourrus, mais pros. J’avais toujours Liam dans les bras, ils m’ont demandé plein de choses : ouvrir telle porte, les volets, ramener une couverture, tenir Liam loin alors qu’il voulait voir sa maman et revenait toujours trainer près des bottes des pompiers ? J’ai eu peur qu’il se fasse écraser. Le temps a filé, tellement vite, et en même temps c’était interminable, je trouvais que c’était long, mais long… ! 

Notre SF expliquait aux pompiers comment masser l’utérus, j’étais soulagé car 2 mains musclées et fraiches valent mieux qu’une à moi, épuisée… Ils laissaient trainer plein de choses, je devais redoubler de vigilance. Le SAMU a débarqué aussi. Je n’ai pas vraiment compris à ce moment-là quelle était leur plus-value. Notre SF a dû leur expliquer à eux aussi ce qu’il fallait faire, cela m’a profondément choqué, si elle n’avait pas été là Thaïs se serait vidée de son sang jusqu’à l’hôpital… J’ai compris après coup qu’elles avaient donné à Thaïs adrénaline, épinéphrine, etc. pour qu’elle se maintienne consciente. 

T : Après un temps qui m’a semblé une éternité, tout ce monde m’a emmené dans l’ambulance, seule, sans mes bébés, sans mon homme, mon pilier de lumière. Seule avec ces inconnus. Alors je pense que mon instinct de survie (et mon caractère de base) m’a rendue joviale et expansive. Dans l’ambulance je rigolais avec les femmes présentes. J’en ai retenu une par le bras, qui a manqué de me tomber dessus à cause d’une bosse sur la route. Et je leur disais à tous merci et que je les aimais… J’étais sous le coup des hormones ! Et là, je me suis sentie partir, à nouveau. Je leur disais de faire quelque chose, que je repartais, que je me sentais mal ! J’avais si peur !!! Rien que de l’écrire je peux encore sentir la terreur s’insinuer froidement en moi. Je m’agrippais à mes visualisations, les visages de mes enfants, les sourires de Liam, ceux de Mathieu avec ses étoiles autour des yeux. Je voulais la vivre cette vie tous ensemble. Je vous devais de revenir. Je ne pouvais pas vous faire ça, laisser mon homme tout seul avec vous deux. Et alors ils m’ont injecté de l’épinéphrine, plusieurs fois pour me relancer. Je sentais de la chaleur et du stress qui me maintenait en vie. 

Je me souviens d’un détail qui a été important pour moi et qui m’a aidée à traverser tout ça. J’avais demandé à être recouverte de ma couverture blanche toute douce avant de partir en ambulance. La sensation de douceur de cette couverture, que j’avais le jour de ma rencontre avec Mathieu et qui a bercé bien des souvenirs doux de notre histoire d’amour… Cette sensation sur ma peau nue… Je crois bien que ça m’a donné envie de vivre encore plus fort. Cette couverture, un objet personnel, m’a permis de m’agripper à mon identité, à ma famille, à la douceur de mon cocon et de me faire des câlins tout ce temps où j’étais seule avec toi et aussi par la suite, lors de mon séjour à l’hôpital. Elle me permettait de recouvrir des parties de mon corps. Je me sentais nue, mais j’avais certaines zones couvertes et c’était bon ! Les soignants, pris dans l’urgence et dans le souci principal de me sauver la vie ne s’intéressaient sans doute pas à ma nudité, mais cela comptait pour moi. J’ai senti combien cela importe dans le sentiment de valeur personnelle, de respect de soi, de contenance. Et quand je me sentais repartir dans l’ailleurs, la contenance physique, les sensations, l’impression d’appartenir à ce corps physique, que cette enveloppe était bien la mienne et non pas le corps de tout le monde, eh bien, cela comptait. 

M : Ils ont emmené Thaïs, quel calme d’un coup, mais d’un tellement court instant. J’étais en effet avec toi sur un bras et Liam sur l’autre… Les 2 vous étiez nus, et encore une fois, heureusement que notre SF est restée là le temps de m’aider à nous préparer, car seul j’aurais géré mais dans quelles circonstances… ? Speed et galère, Mayla tu pleures, je te parle, on t’explique qu’on va retrouver ta maman, que ça va aller. J’habille Liam, notre SF s’occupe de toi. Je prépare la voiture comme je peux, on vous installe dans la voiture. Je remercie notre SF à la va-vite et je ferme les portes de la maison. Je dois aussi penser aux clefs du portail. 

Quel bordel je laisse derrière moi ! Le stress m’a permis de ne pas trop penser à des hypothèses sombres. J’étais en survie pour vous, mes enfants. Je voulais retrouver Thaïs avec toi. J’ai prévenu notre amie joker que je lui laissais Liam dans 15 minutes, qu’on devait abandonner horriblement à cause de ces *** de protocoles COVID de ***. 

Maintenant, me concentrer sur la route. Malgré la fatigue et les larmes qui auraient bien envie de se frayer un chemin. J’ai envie de mettre les feux de détresse, de doubler sauvagement, mais je reste aligné avec la raison et la route. Et dans le contrôle de mes émotions qui voudraient sortir, j’ai en effet peur de ne plus pouvoir repartir si je m’arrête pour pleurer. Et en route cela serait trop dangereux. Et toi, tu pleures toujours derrière. Et Liam est à côté de toi, du haut de ses 13 mois, comme un grand frère rassurant. Je vous explique le topo : Liam qui sera gardé par notre amie pendant une période indéterminée, toi qui vas vite retrouver ta maman à l’hôpital et pourra sans doute faire ta première tétée bientôt. Liam et toi vous endormez, comme rassurés par ce que je vous ai nommé. Ne reste que moi qui ai un peu d’espace pour penser à ma chère et tendre et à l’incertitude qui me pèse de ne pas savoir si elle est encore en vie. 

T : Nous sommes arrivés à l’hôpital, directement en salle d’opération (enfin je crois). Puis l’anesthésiste est arrivé. Je lui ai fait de la tchatche, été sympathique et j’ai négocié une rachianesthésie plutôt que l’anesthésie générale qu’il voulait me faire. Il m’a dit que si je parvenais à m’asseoir, il y était plutôt favorable. Je savais que c’était important pour mon bébé, pour mon allaitement, alors j’ai rassemblé toutes mes capacités et j’ai réussi à m’asseoir. Enfin, mon corps répondait à peine, alors je me suis retrouvée d’abord à quatre pattes sur la table d’opération et des femmes m’ont aidée à m’asseoir ensuite. 

Je sentais la peur dans leur regard. J’étais vraiment blanche et délirante. J’avais perdu plus de 3 litres de sang. Ils m’ont alors anesthésiée et transfusée. J’ai reçu plusieurs culots de sang et de plaquettes. La vie me revenait petit à petit. L’anesthésie me créait des chocs de tension alors je repartais, je le disais, et ils m’injectaient à nouveau du produit. 

La gynécologue est ensuite arrivée pour la révision utérine. J’ai négocié avec elle pour garder mon placenta. J’ai dû lui promettre que je ne le mangerais pas (c’était visiblement pour ça qu’elle refusait de le donner, j’ai donc fait semblant de trouver ça dégoutant et lui ai précisé que l’arbre pour accueillir le placenta était prêt dans le jardin et le trou déjà creusé). Elle a accepté en me laissant comprendre que le sac poubelle des déchets organiques, le jaune, serait dans le coin de la pièce… Elle a ensuite procédé à la révision. Sa main gantée en moi. Le placenta était très bien attaché. Elle a dû le décoller avec force, mais je ne sentais rien et ça a été super rapide. Les saignements ont ensuite cessé immédiatement. J’étais sauvée! 

M : Je retrouve notre amie, elle me propose ses bras accueillants mais je refuse, je ne veux pas m’effondrer et veux faire vite. Je sais que j’aurai des pleurs coincés à sortir plus tard, que ce n’est pas bon pour moi. Un temps pour tout… Je galère avec le siège de Liam, le dépose avec couverture, doudou, tétine, je ne sais plus exactement ce que j’avais réussi à prendre… Et me voilà reparti pour l’hôpital, avec seulement toi qui dors paisiblement dans ton siège. Je te partages ce que je ressens. Je suis tellement en colère des protocoles COVID qui ne me permettent pas d’aller rejoindre ta maman avec Liam sur mon dos! Et j’avance, masqué, vers l’entrée de l’hôpital avec toi, ma toute nouvelle fille, du haut de tes 2h de vie, plein de doutes et d’espoir. 

T : Peu après, Mathieu est arrivé, masqué, avec toi et il t’a déposée sur mon ventre. Les voies sur mes bras et le tensiomètre me faisaient vraiment mal et m’empêchaient de pouvoir te tenir comme il faut et sans douleur, mais peu m’importait. Je forçais un peu et te serrais fort contre moi. Je t’ai mise au sein et tu as tété, puis dormi. Je me sentais à nouveau complète. Enfin, je pouvais respirer et me reposer un peu. Mathieu a pleuré, moi aussi, on s’est pris dans les bras. Le personnel était sorti de la pièce, nous étions seuls. Mathieu a dormi un peu et moi je sentais les effets de l’adrénaline qui tapait dans mes veines mais je savourais la sensation de ton corps et de son poids sur moi et je t’admirais et bénissais le doux chuchottis de ta respiration. Le tensiomètre me gênant vraiment trop, je l’ai retiré. 

M : Je connaissais le chemin. Ma grande fille était née derrière ces portes 7 ans auparavant. Et ce n’étaient pas que des souvenirs heureux. Alors j’avais pour cela aussi de l’appréhension de ce qu’allaient m’annoncer les soignants quant à l’état de ta maman. Mais ouf, quel soulagement, on m’ouvre la porte et on me dit qu’elle va bien, qu’elle est éveillée, que je pourrai la voir dans 5 min, que tout s’est bien passé. Je remercie tout ce que je peux, tu dors paisiblement. Je suis inquiet que tu dormes trop, j’ai hâte que tu puisses faire du peau à peau et têter. J’enfile l’accoutrement bleu de l’hôpital et je vais m’installer dans la pièce juste à côté d’où se trouve Thaïs, où s’affairent les sages-femmes. 

Encore quelques instants avant de retrouver mon amoureuse, en vie, et te rendre à elle pour des retrouvailles réconfortantes. On me dit que Thaïs a été sur le fil, qu’il a fallu lui donner tout ce qui était possible de donner à quelqu’un pour le maintenir en vie, genre des doses de cheval, et que je ne devrais pas être surpris, qu’elle avait le teint plutôt blanc. Enfin je peux accéder, elle est livide en effet, avec des fils de partout, les sages-femmes finissent de ranger. Je te dépose sur elle, l’embrasse quand elle enlève son masque à oxygène, lui dis combien j’ai eu peur. Je pleure enfin ma peur et ma joie, mais pas trop. J’ai tellement retenu que je vais avoir besoin de temps et d’espace pour le faire. En effet j’ouvrirai les portes de mes émotions petit à petit lors des premiers mois de notre post-partum. Là je crois que ça va, quasiment à tes 9 mois, ma fille. Merci Thaïs d’avoir cru en toi, en nous, et d’avoir tenu bon. Je t’Aime. 

T : Quel bonheur de se retrouver ! Ensuite le temps s’est étiré, Liam me manquait, les soignants avaient disparu et on devait attendre, telle personne, tel résultat, bref, l’hôpital quoi. Une nuit affreuse à mourir de chaud, non mais vraiment, il faisait 37°C dehors, et il n’y avait pas de climatisation. Seule avec toi dans cet hôpital, Mathieu n’avait bien sûr pas le droit de rester, et mon autre bébé qui me manquait. Je me demandais comment il le vivait, que je disparaisse une nuit entière pour la première fois, dans ces circonstances. Je suis restée uniquement parce que ma SF me l’a demandé fort fort. Je ne voulais plus lui causer du stress, mais je l’ai vraiment fait pour elle et j’en ai souffert. C’était bien pire que ce que j’aurais vécu chez nous.  On ne pouvait pas du tout ouvrir les fenêtre, impossible d’avoir un filet d’air. Le lit n’était pas prévu pour dormir à deux, même avec un nouveau-né. On m’a suggéré de te mettre dans un petit lit en plastique, non mais ça va ou bien ? Je t’ai gardé précieusement au plus près de moi. Dans la chambre voisine, le bébé a hurlé toute la nuit, bizarrement plus fort quand j’arrivais enfin à m’endormir. J’ai aussi été dérangée dans mon repos plusieurs fois et pas toujours de manière respectueuse. J’ai également dû me lever toute seule pour aller uriner, avec toi dans mes bras. Et impossible pour moi de me résoudre à aller me doucher en te laissant seule sur ce lit. Je suis alors restée transpirante et pleine de sang jusqu’à ce que Mathieu revienne le lendemain. 

Et puis avant il y a aussi eu la médecin qui nous a annoncé, le placenta à peine sorti, que j’avais eu la toxoplasmose dans les 3 dernières semaines et qu’il y avait des risques pour toi. Je passe les détails de l’infantilisation et des jugements vis-à-vis de nos choix. Pas de choix éclairés selon moi mais tout un processus protocolaire épuisant quand on se renseigne par soi-même. Ce qui prend un temps fou sur le Net quand on a le cerveau en vrac et qu’on est vraiment épuisée. Heureusement plusieurs sages-femmes ont été adorables et bienveillantes, elles ont respecté nos choix et nous ont aidé dans nos démarches, quitte à faire quelques légères entorses aux protocoles. Et cela m’a mis du baume au coeur. Dans l’ensemble, en réalité, presque tout le personnel soignant qui a pris soin de nous était merveilleux, c’est bien la machine de l’institution Hôpital qui broie les humains. 

S’en sont suivis un tas d’examens, des aller-retour à l’hôpital les jours suivant ta naissance, avec des masques, des heures à attendre… Nous qui rêvions d’une naissance et d’un post-partum non perturbé dans notre cocon… Les hôpitaux sont devenus des lieux difficiles à naviguer quand on est un humain je trouve. Mais on l’a fait et nos bébés allaient bien tous les deux! Tout ça pour un risque quasi inexistant finalement. Mon seul vrai souci était mon sacrum déplacé par ton passage, ce que j’ai dû gérer seule en prenant rdv chez notre ostéopathe, car à l’hôpital aucune solution n’est proposée pour cela… On a donc insisté pour sortir et signé plusieurs décharges de responsabilité, essuyé plusieurs fois des discours comme quoi nous étions des irresponsables, repris notre autonomie… Nous sommes rentrés tous ensemble à la maison. Le tissage pouvait enfin commencer.