ENFANTER – UNE INITIATION
Ce matin, je me sens appelée à écrire sur le processus enclenché lors de mes enfantements. Je me sens encore en tissage des enseignements reçus durant ces passages, cela me permettra sans doute d’éclairer les coins d’ombre. Deux enfantements en 13 mois, une intensité de vie incommensurable qui m’a traversé par deux fois et moi, humaine, qui tente d’en comprendre le sens et de l’intégrer dans ma nouvelle vie, ma vie de maman de ces deux enfants-là.
Maman. Je suis maman. Devenir cette immense entité qu’est une mère, une soignante, un puits d’amour, de tendresse, de sagesse pour ses enfants… Pour devenir la maman que je suis, la maman dont mes enfants si uniques ont besoin, il me fallait traverser les grossesses, puis les naissances. Car la vie dans son infinie sagesse ne nous pose pas subitement des enfants dans les bras. Dix lunes par deux fois pour me rencontrer moi et aller à la rencontre de mes bébés. Que d’émotions traversées, comme des vagues qui parfois me laissaient lessivée, sur le sable de mes paysages mouvants, me demandant si j’aurai la force de surfer la suivante. Et pas seulement pendant l’enfantement en soi, mais durant toute la grossesse, à chaque fois. Des métamorphoses, de chrysalide à papillon.
Je viens de vivre (et c’est sans doute loin d’être terminé!) deux ans de processus de connaissance intime de moi, de déconstruction/reconstruction de mon histoire de vie, familiale, intime, de couple. La magie de la vie m’a traversé et m’a transformée au plus profond. Passer de fille à mère. Constater parfois avec effroi comme je ressemble instinctivement à la mienne. Avec tendresse aussi m’apercevoir de la douceur que j’ai reçue petite fille et dont je ne me souvenais plus. Mais mes bras savent si bien câliner, ma voix sait si doucement bercer… J’ai dû le recevoir pour pouvoir ainsi le donner à mon tour. Alors j’ai aussi pardonné. Plus que jamais auparavant, j’ai ouvert mon coeur. Ma mère a donné tout ce qu’elle a pu pour ses enfants, au mieux de ses possibilités du moment, avec ce qu’elle avait reçu de sa maman et elle de la sienne, etcaetera. Devenir maman me fait sentir tellement d’empathie pour elle, pour elles toutes, de douceur pour leurs éventuelles erreurs, les manquements que j’ai ressentis. Je fais moi aussi à présent comme je peux au mieux. Et parfois ce mieux je n’en suis pas très fière, mais c’est ainsi, humblement, que je suis cette maman-là.
Je tire plusieurs enseignements de mes enfantements, je ne les citerai pas tous ici car je n’ai pas encore saisi toutes les nuances de couleur de tout cela. L’humilité en est incontestablement un. Je n’ai certainement pas terminé le processus de compréhension autour de cette notion, mais je ressens profondément à quel point enfanter m’a demandé d’humilité, de lâcher mes certitudes, de m’en remettre à plus grand. Sentir la puissante fragilité de l’existence, cette dichotomie divine me traverser, m’a rendue plus humble face à la vie et ses mystères. En fait, je pense que cela me permet surtout d’être d’accord de me sentir petite face à tout cela. Comme si mes besoins de perfection et de tout comprendre avaient abdiqué face à l’immensité. Et d’enfin sentir que c’est aussi dans cette vulnérabilité, cette humilité, que je trouve ma force.
Une autre compréhension profonde qui se tisse en moi est que je suis totalement seule et que je le serai toujours. Mais dans le bon sens du terme. Nulle autre que moi ne pouvait mettre ces enfants au monde. Pour chacun de mes enfantements je me suis retrouvée à un moment clé, dans un face-à-face avec moi-même. Face à l’intensité, la petite fille en moi terrorisée aurait voulu laisser les rênes, laisser quelqu’un d’autre le faire à ma place. Mais seule moi, puisque j’avais choisi la physiologie et que je n’étais pas dans un hôpital, pouvait m’ouvrir assez pour laisser passer la vie dans mon sexe de femme. Et quand je dis « moi », c’est bien de mon moi véritable dont je parle. J’ai senti comme je devais me dépouiller de mes faux semblants. Regarder les facettes de moi s’agiter et choisir de me mettre à nu, de n’être que moi, d’être entièrement moi, pure, crue, sauvage, instinctive, vulnérablement moi. Je devais trouver mes vraies forces, mon propre courage, mes propres larmes, mon propre chant, mon propre cri, ma propre puissance. Et lâcher les parts de moi qui souhaitaient rester assistées, victimes, irresponsables.
C’est si confortable parfois de ne pas se sentir responsable. Mais pour mettre au monde mes bébés sous ma propre autorité hormonale, je devais reprendre mon pouvoir et cela vient avec la responsabilité. Et c’est en comprenant que ce lieu ou était mes bébés, ce lieu que je devais trouver en moi, qui me connectait au grand tout plus grand que moi, ce lieu je ne pouvais l’atteindre que seule. Alors je me suis trouvée face à un choix. Une décision à prendre. Allais-je choisir la vie, si puissante, si vibrante ? Allais-je choisir la joie, la confiance, la foi qui me permettrait d’aller chercher mes bébés et de les accompagner vers mes bras, vers mon cœur, vers cette vie-là ? Une décision à prendre mais aucun choix en vrai. Car la vie était là, en train de me traverser, j’étais déjà en train de le faire. Le sommet atteint, j’ai réalisé par deux fois que la montagne n’était pas si haute qu’elle ne le semblait et que j’en étais capable. Le choix je l’avais déjà fait, je devenais maman et j’étais responsable de moi et de ma famille. J’avais trouvé la force de prendre soin de cet enfant là.
Quand je regarde l’actualité, je me dis que le monde a terriblement besoin que les femmes retrouvent leur pouvoir. Que les familles du nouveau monde se nourrissent aussi de cette force que l’on a en nous pour dire non et poser leurs limites. Car prendre ses responsabilités c’est aussi prendre soin de la vie. Pour nous, pour la Terre, notre mère.
Thaïs
Le 27 octobre 2020